L'Iran tient bon grâce à son Pétrole
Dévaluation sans précédent du rial, chute vertigineuse des exportations de pétrole, inflation galopante : les sanctions imposées contre l'Iran sont un succès, affirme-t-on en Occident et aux USA.
Dès lors, le destin de la République islamique semble scellé : l'Iran suspendra ses activités d'enrichissement nucléaire et la chute de son régime sera précipitée par un "printemps persan".
Grâce aux énergies, rien n'est moins sûr. Voici une analyse très pertinente réalisée par Sébastien Regnault enseignant à l'université Dauphine
MAINMISE DES MILITAIRES
Les sanctions contre l'Iran durent depuis plus de trente ans, et leurs effets sont connus. Elles légitiment la rhétorique antioccidentale du régime, renforcent le monopole des pieux marchands du bazar, principaux soutiens du clergé, limitent le développement d'une classe d'entrepreneurs non inféodés à l'idéologie islamique, rendent la population plus dépendante encore de l'Etat qui contrôle 80 % de l'économie et favorisent la mainmise des militaires sur des pans entiers de l'industrie.
Les nouvelles sanctions ne font que décupler ces effets.
De fait, l'inflation iranienne que le monde semble découvrir cette année n'a rien à voir avec les sanctions.
Chronique depuis plus de cinq ans, elle est liée aux décisions du président Mahmoud Ahmadinejad de multiplier par quatre les aides en direction des classes populaires et de supprimer une partie des subventions sur l'essence.
En vérité, il y a plus de dix ans que Téhéran a rapatrié une grande partie de ses avoirs étrangers.
ENVOLÉE DES COURS DE BRUT
L'Iran se trouve donc en fort excédent commercial grâce à l'envolée des cours de brut, et la banque centrale iranienne dispose d'une réserve colossale en devises.
Elle n'aura donc aucun mal à fournir, et pour longtemps encore, les dollars essentiels à l'Etat pour l'importation de ses biens de première nécessité (nourriture) et intermédiaires, en se gardant de toute hyperinflation.
L'interdiction d'exporter une cinquantaine de produits de première nécessité (blé, farine, sucre, viande rouge, aluminium, acier, etc.) et la gestion plus rigoureuse de l'économie permettent d'envisager à long terme une stabilisation des prix des biens de consommation courante, qui profitera aux classes populaires.
En revanche, avec les sanctions, le gouvernement offre beaucoup moins de dollars au marché parallèle qui sert à l'achat par la classe moyenne et supérieure de produits d'importation attractifs mais dont l'économie peut se dispenser.
CHUTE DU RIAL
Cette réduction a précipité une chute du rial cette année, que le gouvernement a en partie enrayée en interdisant l'importation de produits occidentaux ou venant concurrencer la production locale.
Cela lui permet d'économiser 12 milliards de dollars par an (9,25 milliards d'euros) sur ce marché qui, malgré tout, connaît et continuera de connaître une forte inflation.
Par conséquent, les classes urbaines moyennes et supérieures, celles-là mêmes qui étaient descendues dans les rues en 2009, au lendemain de la réélection contestée du président Ahmadinejad, sont les premières victimes des sanctions.
Certes, le système de santé iranien explose. Contraint d'en passer par le marché parallèle pour s'approvisionner, il connaît une multiplication par cinq du prix de certains soins médicaux, et une pénurie de certains médicaments occidentaux.
Mais l'industrie iranienne dépendante de l'Occident se tourne de plus en plus vers l'industrie asiatique, qui lui offre des voies de substitution.
Pour contourner les sanctions, l'Iran dispose de nombreux moyens. Il peut d'abord compter sur l'avidité de certains traders, qui s'octroient des marges confortables pour créer, à partir des pays vers lesquels l'Iran vend du brut, des circuits aussi complexes que changeants de billets verts, entre banques et sociétés écrans chinoises, malaisiennes, russes, suisses, irakiennes, émiraties ou libanaises, pour financer ses gros volumes d'importation.
Ensuite, il peut s'appuyer sur sa tradition plusieurs fois millénaire de troc pour faire du commerce à l'étranger.
Ses pétrodollars se transforment en pétro-yuans, roupies, yens, wons et des pétro-lingots d'or qu'il troque en Inde, Chine, Corée du Sud, Japon, Turquie ou Ukraine contre du riz, de l'essence, du charbon, de l'aluminium, de l'acier et du graphite, des pièces automobiles, du matériel informatique, contre des services ou des investissements directs. L'Iran attend même la livraison de treize supertankers chinois.
MOYEN-ORIENT EN PLEINE RÉORGANISATION
Enfin, il bénéficie d'un Moyen-Orient en pleine réorganisation, où certains pays sont en forte croissance.
Depuis le début des sanctions, en janvier 2012, il faut constater le doublement des échanges commerciaux avec la Turquie par rapport à 2011, l'explosion des échanges avec l'Irak, qui subit de plein fouet la rupture de son commerce avec la Syrie, la signature d'un traité avec Kaboul et New Delhi pour permettre à l'Afghanistan d'avoir un accès à la mer grâce au port iranien de Chabahar, la mise en place de circuits de troc d'engrais et d'hydrocarbures avec le Pakistan pour récupérer du blé ainsi que la contrebande organisée d'essence et d'hydrocarbures vers toutes ses frontières et, finalement, l'importation toujours aussi importante de tout ce qui lui manque par le biais des Emirats.
En fait, la question qui se pose est la suivante : comment pouvons-nous imaginer pouvoir asphyxier l'économie d'un pays, grand comme trois fois la France (1 635 000 km2), en forte croissance depuis plus de dix ans, à égale distance entre l'Orient et l'Occident, et qui dispose du plus grand nombre de pays frontaliers au monde après la Russie (quinze, en comptant les frontières maritimes) ?
DEUXIÈMES RÉSERVES MONDIALES
Avec l'égalisation des niveaux de dépendance de toutes les économies de la planète à l'égard des hydrocarbures (l'Iran dispose toujours des deuxièmes réserves mondiales), imaginer pouvoir couper ses revenus du pétrole paraît bien vain.
D'abord, le manque à gagner sur le brut est en partie compensé par l'envolée des cours : majoration de 10 %, 20 %, 30 % ces dernières années, alors que l'économie mondiale est en berne. Ensuite, les apparences sont trompeuses.
Si les sanctions ont produit des effets supérieurs à ceux escomptés ces six derniers mois, une baisse de 50 % des exportations, c'est en grande partie parce que l'Inde, le Japon et la Corée du Sud ont réduit leurs importations de 30 % à 40 %, et cela en raison de l'impossibilité d'assurer leurs tankers depuis qu'en janvier, les compagnies européennes ont interdiction de le faire.
RISQUER UN CHOC PÉTROLIER
Maintenant que l'Inde et le Japon ont fait voter des lois pour les assurer eux-mêmes et que l'Iran assure ceux qui partent vers la Corée du Sud, ces trois pays reprennent actuellement leurs importations dans des proportions telles que, tout en respectant le barème semestriel d'une réduction de leurs importations de 18 % demandée par les Etats-Unis, l'Iran va retrouver d'ici à fin janvier 2013 à peu près son volume d'exportations d'avant ce volet de sanctions .
Alors, pensons à l'alternative et soyons réalistes. Le Pakistan vit un coup d'Etat permanent depuis sa création. L'Afghanistan stagne dans le chaos que l'on sait.
L'Irak et désormais la Syrie sont en guerre civile. Le Liban se retrouve plus fragile que jamais et le conflit israélo-palestinien n'en finit pas de finir.
Considérant ces paramètres, on voit mal un pays quel qu'il soit frapper l'Iran, et ainsi créer une zone d'instabilité politique qui s'étendrait de la Palestine à la Chine et risquer un choc pétrolier qui démultiplierait les effets de la crise à l'échelle mondiale, avec un baril à 150 ou 200 dollars. L'échec des sanctions contre l'Iran annonce la reprise prochaine des négociations.
Par Sébastien Regnault, enseignant à l'université Dauphine LeMonde.fr
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